Quelle démarche derrière ce mot d’ordre ?
Le racisme nous concerne tous tes, personnes blanches et personnes racisées. Le mot d'ordre de cette pride est une invitation à regarder le racisme en face pour mieux le combattre et le démanteler.
Depuis 2003, la Pride de Nantes est un événement 100% géré, organisé et financé par notre association Nosig, Centre LGBTQIA+ de Nantes. Notre association fait le choix depuis des années de ne recevoir aucunes subventions publiques pour la pride, et de se financer via les recettes du bar, gateaux, goodies et partenariats privés. Ce choix permet de garantir notre liberté de parole militantes, l’indépendance politique et de permettre la présence libre de différentes formes de militantisme dans le cortège.
Si notre association accueille quotidiennement des personnes queer racisées, nous avons conscience que notre bureau, conseil d’administration et équipe salarié sont constitués majoritairement de personnes blanches. Alors comment construire une Pride en mettant en avant nos adelphe racisé.e.es sans parler à leur place ? Jusqu’où pouvons-nous écrire un édito sur ces revendications alors que nous sommes trois personnes blanches à la co-présidence de ce centre LGBTQIA+ ? Nous ne nous présentons pas comme une « safe place » au sens strict : aucun espace, y compris Nosig, n’est totalement neutre. Les rapports de domination existent de manière inconsciente, même dans des milieux animés par des intentions bienveillantes. Chercher à être un espace safe et engagé dans une démarche antiraciste, c’est un travail intentionnel et constant. C’est un idéal vers lequel nous cherchons à tendre, dans une logique d’amélioration continue.
Le mot d’ordre de chaque pride de Nantes est travaillé et acté par les bénévoles de la commission pride de Nosig. Pour la définition et formulation de ce mot d'ordre, nous avons fait plusieurs appels sur les réseaux sociaux pour inviter des personnes queer racisées à donner leur avis et participer à cette réflexion sur 2 focus-group. Peu de personnes concernées ont répondu à ces appels, ce qui montre peut-être que ces personnes ne se sentaient pas à l'aise, pas légitimes ou manquaient d'énergie pour participer à cette réflexion. Quelles que soient les raisons, elles sont légitimes, et montrent bien que les bonnes intentions ne suffisent pas à rendre nos espaces inclusifs.
La pride a une visibilité médiatique importante, c’est pourquoi nous avons pris la décision de porter ce mot d’ordre et ses valeurs, en toute conscience des biais et angles morts que nous pouvons avoir en tant qu’association administrée majoritairement par des personnes queer blanches. Ce choix est une prise de risque de se tromper, de commettre des erreurs, des maladresses. Si cela se produit, nous sommes prêt.es à assumer nos responsabilités, à accueillir les feedbacks et à agir en conséquence, pour poursuivre ce travail de long terme de lutte contre le racisme, la négrophobie, l’islamophobie et le colonialisme. Nous préférons une pride imparfaite portant ces revendications, plutôt qu'une pride avec un mot d'ordre les invisibilisant. C'est en essayant qu'on avance, et nous espérons que par cette pride nous avancerons toustes ensemble vers cet horizon.
Cela fait plus de 50 ans que la pride, ou marche des fiertés, est célébrée partout dans le monde.
En juin 1969 dans le bar Stonewall In aux Etats-Unis, des personnes queer majoritairement racisées (femmes trans, hommes cis gay, drag queen, dont des travailleur.euses du sexe) se révoltent fâce à une descente de police visant les empecher d’exister dans l’espace public. La manifestation organisée suite à ces soulèvements sera baptisée Marche des fiertés et sera reprise à l’international, dont en France. Parmi les figures américaines les plus connues, Marsha P. Johnson femme trans afro-américaine, Sylvia Riviera femme trans hispanique américaine et Stormé Delarverie femme cis lesbienne métisse.
Avant elles dans les années 1880 1890, la toute première drag queen afro-américaine connue, William Dorsey Swann, était un homme gay noir né esclave et libéré après l'entrée en vigueur de la Proclamation d'émancipation.
Les 1ères prides françaises, dans les années 1970, naissent en période de colonisation française. L’histoire de la lutte queer en France, telle qu’elle est souvent racontée, tend à se concentrer sur des figures blanches. Cela pose question à tous niveaux : Qui écrit l’histoire, qui la raconte, Pour qui la raconte-t-on ? Les militantismes LGBTQIA+ et féministe ne sont pas exempts de biais racistes et coloniaux. Nous devons apprendre à nommer ces oppressions que sont le racisme et le colonialisme afin de mieux les combattre.
En 2025, le discours raciste et fasciste est en train de redevenir la norme dans notre société, les médias et dans la bouche de personnalités politiques de notre gouvernement. En criant au “grand remplacement”, ces réactionnaires cherchent à créer un “ennemi” responsable des défaillances de notre système social et économique. Ils mettent dans le même sac personnes migrantes, personnes musulmanes ou assignées musulmanes, habitant.es des banlieues, et personnes racisées de manière générale. Cela revient à déshumaniser ces personnes et à effacer la pluralité de l’expérience des personnes réduites à ces stéréotypes. Ce sont ces mêmes personnes et partis qui répandent une désinformation haineuse à l’égard des personnes LGBTQIA+ voire même, essayent de récupérer nos luttes queers et feministes afin de servir leur discours de haine, raciste, islamophobe et antisémite. C’est le cas par exemple de Némesis, ce “collectif” prétendument “feministe” qui déploient ses idées nauséabondes et sert de crédibilité aux mouvements d’extrêmes droites identitaires.
C’est l’occasion de rappeler que l’islamophobie n’a pas sa place dans les luttes LGBTQIA+ et féministes. Nous dénonçons les politiques visant à interdire le port du hijab et de l’abaya dans les espaces publics et le sport, infantilisant les personnes souhaitant les porter. Ne laissons pas ces soit-disant polémiques réactionnaires nous utiliser, diviser et récupérer nos luttes.
Colonialisme, une histoire française et nantaise
On ne peut pas marcher fièrement sans regarder en face l’histoire qu’on porte. La France a colonisé, esclavisé, pillé, asservi, déporté, massacré, imposé son pouvoir sur des terres et des peuples. Nos luttes ne peuvent être déconnectées de ces réalités historiques et politiques. Assumer le passé colonial de la France, c’est reconnaître les violences de la traite négrière, de la colonisation de l’Afrique, du Maghreb et particulièrement l’Algérie. Nantes, où se déroule notre marche, est l’un des symboles de cette histoire : c’est le premier port négrier de France. Entre le XVIIe et le XIXe siècle, plus de 1 700 expéditions négrières sont parties d’ici, déportant des centaines de milliers de personnes réduites en esclavage vers les colonies.
Et aujourd’hui encore, ce passé colonial continue de se faire sentir dans les discriminations racistes, les violences policières, les politiques migratoires, l’accès aux droits. Ne détournons pas non plus les yeux sur le génocide en cours en Palestine, où un peuple lutte pour sa survie, sa dignité, sa liberté, sous le coup de bombardements et de barbarie. Comment célébrer la fierté sans être solidaires des luttes antiracistes, de la Palestine aux Outre-mer ? L’émancipation ne sera jamais complète si elle laisse des personnes sur le bord du chemin.
Trop souvent réduits à des cartes postales ou à des extensions exotiques de la République, les Outre-mers sont les grands oubliés. Pourtant, la violence coloniale y est toujours à l’œuvre : racisme systémique, inégalités criantes, scandales sanitaires comme celui du chlordécone aux Antilles, abandon des services publics, destruction écologique… Tout ça n’est pas du passé. C’est aujourd’hui, ici, en territoire français. Les personnes LGBTQIA+ ultramarines subissent une double ou triple peine : homophobie, racisme, relégation.
À Mayotte, l’État français mène des opérations sécuritaires violentes sous couvert de lutte contre l’immigration, au mépris total des droits humains. La population y subit racisme, pauvreté extrême, violences policières. Le mépris de l’Etat va au-delà dès lors qu’une catastrophe naturelle s’abat sur le territoire, avec cette fois-ci un oubli absolu criant. Historiquement, les autorités françaises leur ont adressé à plusieurs reprises des référendums pour re-questionner leur volonté d’appartenance à la France. A chaque fois, les mahorais.es ont répondu un oui majoritaire. La question est réitérée de façon infantilisante, ce qui montre bien que leurs voix ne sont pas écoutées. C’est une logique coloniale qui perdure, comme en Nouvelle-Calédonie où les revendications kanak pour l’autodétermination sont systématiquement ignorées, réprimées, étouffées dans la violence.
La liste des victimes des violences policières ne cesse de s’allonger.
On a beaucoup parlé des états-unis suite à l’assassinat de George Floyd et le mouvement Black Lives Matter, mais beaucoup moins d’affaires françaises telles que celle d’Adama Traoré par exemple. Ne détournons pas le regard des bien trop nombreuses violences policières françaises.
Entre 2020 et 2022, la France présente le nombre le plus élevé de décès des violences policières parmi les membres de l’UE : 488 personnes décédées en 2 ans. Plus récemment, c’est Nahel Merzouk, tué à bout portant, dont la mort a déclenché des mobilisations qualifiées "d’émeutes urbaines" par les médias et les politiques.
Quand des personnes racisées meurent sous les coups, on parle "d’émeutes", alors que les colères blanches deviennent "manifestations". Ce terme “émeutes” déshumanise les personnes qui se révoltent et sous-entend légitimer la violente répression à leur égard.
L’État criminalise nos luttes et invisibilise les oppressions systémiques. Ces violences policières et la crainte qu’elles génèrent ont pour conséquence d’éloigner de les personnes queer racisées et/ou musulmanes de leurs droits, le dépos de plainte pour LGBTQIA+phobie par exemple.
Droit D’asile et d’Immigration
Bien loin de sa devise “liberté égalité fraternité”, la France applique un double standard en termes de politique d’immigration : Quand il s’agit de personnes migrantes racisées, on entend dire “qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde”. Et quand il s’agit d’accueillir de personnes migrantes venant d’Ukraine, il fait immédiatement consensus de les accueillir à bras ouverts. Le problème ce n’est pas l’immigration, c’est la défaillance de notre modèle économique et social. Alimenter cette mentalité c’est mettre des vies en danger, et sur-précariser des personnes qui, quoi que l’on fasse, continueront de venir se réfugier en Europe et en France. Nous réclamons l'abrogation de la loi Darmanin, du pacte migratoire européen et du règlement de Dublin.
A Nosig et dans d’autres centres LGBTQIA+, le nombre de personnes LGBTQIA+ exilées accueillies et nécessitant un accompagnement spécifique continue de croître. Une restriction ou suppression de l’Aide Médicale d’Etat priverait nos adelphes d’un accès aux soins dont iels sont déjà éloigné.es du fait de leurs identités LGBTQIA+. De plus, la construction d’un Centre de Rétention Administrative à Nantes réduirait les chances d’obtention d’asile, avec un processus décisionnel accéléré et intenable pour nos bénévoles et salarié.es.
L’accès au logement et autres droits sociaux pour les personnes exilées racisé.es est fragile. Le système montre vite ses limites concernant notre communauté. En effet, ces personnes peuvent être à la foi victimes d’homophobie et de transphobie au sein de leur propre communauté de migrants et également de racisme au sein des communautés queer et dans notre société en générale. Des personnes accompagnées à Nosig se retrouvent face au dilemme de “choisir” entre soit rester dans un logement attribué où elles vivent de l’homophobie ou de la transphobie, soit se retrouver SDF. En effet, le refus (même légitime) de continuer d’occuper le logement attribué implique la révocation catégorique de leur droit à un toit.
Pour la seconde année consécutive, la subvention Droit d’Asile a été refusée par la DILCRAH via la Préfecture de Loire-Atlantique, au motif que notre association n’aurait pas pour objet principal d’accueillir et soutenir des personnes LGBTQIA+ exilées. La sous-traitance bénévole d’accompagnement droit d’asile ne devrait pas pallier l’inaction publique sans attribution de moyens adaptés en conséquence. Notre action d’accompagnement pour les personnes en demande d’asile, très qualitative, soulève un enjeu d'endurance pour tenir dans la durée. Nosig est parfois décrite comme “victime du succès” de son expertise en droit d’asile LGBTQIA+. Nous ne sommes pas dupes sur les réels motifs de refus de financements demandés pour la commission droit d’asile de Nosig : ils sont racistes, xénophobes et LGBTQIAphobes.
Vivre son identités queer racisé.es
Être queer et racisé·e, c’est trop souvent devoir composer avec un double standard. Dans des milieux LGBTQIA+ encore largement marqués par une norme blanche, il arrive que nous soyons sommé·es de choisir entre nos cultures et nos identités queers. Comme si on ne pouvait pas être tout à la fois. Comme si affirmer son lien aux traditions, à une langue, à une famille, revenait à trahir son identité queer. Et comme si vivre ouvertement sa queerness voulait dire couper tout lien avec ses racines. Cette injonction, bien réelle, pousse parfois à des choix douloureux, voire à des formes d’invisibilisation forcée.
Mais même quand nous sommes là, visibles, présent.e.s, cela ne garantit pas l’accueil ou la reconnaissance. Trop souvent, nos corps sont fétichisés, sexualisés, réduits à des fantasmes exotiques et racistes : "rebeu dominateur", "noir·e aux attributs XXL", "asiatique soumis·e", "beurette chaude", etc. Derrière ces clichés crasseux se cache une réalité glaçante : nous ne sommes jamais vraiment inclus·es, simplement toléré·es, ou instrumentalisé·es. Et ça, c’est l’envers du décor de certains milieux LGBTQIA+.