En 2024, la Pride demeure bien plus qu'une simple date festive et colorée. Elle incarne un symbole de la lutte continue pour l'égalité et la visibilité des personnes LGBTQIA+ à travers le monde. Chaque année, nous nous rassemblons dans un acte de résistance et d'affirmation de notre droit d'exister pleinement et librement. Encore aujourd’hui nous devons lutter pour vivre et survivre en paix dans un quotidien marqué par des actualités violentes pour notre communauté.
Chaque semaine qui s’écoule laisse les artisans de l'obscurantisme égrener leur parole nauséabonde et leur volonté de supprimer nos existences. Chaque jour, nous lisons des tribunes, des articles faussement scientifiques, des paroles discriminantes ou des discours oppressants à notre encontre. Nous, militant.es et associations, ne lâcherons rien et combattrons nos oppresseurs. C’est tout le sens que nous donnons à notre Marche des Fiertés.
Le i de LGBTQIA+ est souvent ignoré et méconnu. C’est pourquoi cette année, NOSIG a voulu mettre en avant les revendications intersexes et laisser la parole aux personnes concernées.
On définit comme intersexe une personne qui a des caractéristiques sexuelles (chromosomes, hormones, organes génitaux) qui ne correspondent pas aux définitions types des corps féminins ou masculins. Le corps intersexe est invalidé par le corps médical qui le considère comme non conforme, non acceptable voire non vivable, et comme nécessitant une intervention médicale.
Le corps médical a donné un nom à une quarantaine de variations dites “du développement génital”, dont l'hypospadias, l’hyperplasie congénitale des surrénales, l'insensibilité partielle ou totale aux androgènes. Ces classifications ne rendent pas compte de toutes les expériences intersexes, ce qui empêche un certain nombre de personnes de comprendre qu’elles partagent un vécu intersexe et qu’elles ont toutes la légitimité à se retrouver avec leurs pairs.
Ces variations, ces diversités de corps, ne sont pas des pathologies. La plupart des personnes intersexes ont des corps en bonne santé. Selon la variation et ses caractéristiques, l’intersexuation peut être décelée à différents âges de la vie, soit pendant la grossesse, en bas âge, à la puberté ou plus tardivement à l’âge adulte. 80% des personnes n’apprennent leur intersexuation qu’après 10 ans.
Contrairement aux idées reçues, rares sont les situations où le pronostic vital est engagé du fait d’une l'intersexuation (s'il est engagé les interventions font consensus) . Pourtant depuis les années 50 avec le protocole John Money, des interventions médicales systématiques et précoces sont pratiquées. Dans les faits, 85% des actes médicaux et opérations effectuées sur les enfants intersexes ne sont pas nécessaires pour leur santé physique, psychique ou sexuelle et ne le seront toujours pas lorsqu’iels grandiront.
Plus de 30 % des mineur.es intersexes subissent des interventions médicales sur leurs caractéristiques sexuelles par hormonothérapies et/ou chirurgies. Comme le souligne la DILCRAH, le degré de satisfaction ou insatisfaction du résultat de ces actes est directement lié au degré de consentement de la personne sur ces dernières. Or non seulement les enfants n’ont aucune capacité à donner leur consentement, mais en plus l’information délivrée par le corps médical influence la décision des parents. Le corps médical peut évoquer par exemple un risque de cancérisation poussant les parents à accepter l’intervention.
La répétition de ces actes médicaux entraîne un plus fort décrochage scolaire pour les enfants qui les subissent et entravent leur accès à l’éducation.
Pire, ils entraînent des complications et provoquent des problèmes de santé, d’ordre urinaire, psychique, sexuel. On enlève des organes, on rétrécit, on coupe dans les corps et cela crée des douleurs quotidiennes à vie. Nous rappelons que ces opérations sont des mutilations et qu’elles sont réalisées sur des corps sains. Depuis 2016, la France a été condamnée trois fois par l’ONU via le comité contre la torture, le comité des droits des enfants et le comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes.
L'intersexuation partage une histoire avec les enjeux LGBT. Beaucoup de personnes intersexes sont traversées par ces histoires aussi et le concept d’intersexuation lui-même est une émanation de notre société homophobe. Rappelons que si les médecins souhaitent supprimer, détruire ou cacher les personnes intersexuées, c'est par crainte de voir advenir des homosexuel.les.
D’un côté, on impose des traitements hormonaux ou chirurgicaux aux enfants intersexes. De l’autre, on refuse ces mêmes traitements à des personnes en transition qui en font la demande. Cela souligne le rapport de pouvoir et l'enjeu de puissance et de contrôle au cœur de la prise en charge médicale. Bien sûr, il existe au sein du corps médical des personnes dévouées pour accompagner les individus. Mais ceux-ci sont considérés comme des "patient.es", c’est-à-dire en tant qu’objets à traiter, moins en tant que sujets. Contredire par principe les patient.es qui se présentent est encore pour beaucoup de médecins un principe structurant leur pratique.
Justifier les parcours de transition par l’existence des personnes intersexes est non seulement une formulation maladroite qui invisibilise les personnes intersexes mais c’est surtout laisser comprendre que les parcours de transition doivent être justifiés. Une grande partie de la population prend des hormones (contraceptifs oraux) ou change de nom (mariage) au cours de sa vie et cela ne choque personne. Les crispations autour des transitions ne sont rien d’autres que des complexes psychologiques qui prennent une forme idéologique pour asseoir une domination sur un groupe minoritaire.
La lutte intersexe est essentiellement une lutte contre les abus médicaux et les normes de genre. Ce n’est pas une lutte qui a pour but de créer un humain nouveau, mais au contraire d’accepter la vie telle qu’elle se manifeste actuellement. Les personnes intersexes ne sont pas la promesse d’un avenir idéalisé où tout le monde vit au-delà du genre, les personnes intersexes sont intégrées dans une société aux normes strictes, en tout cas elles y sont plus ou moins intégrées, et elles aspirent à une vie digne dans une société égalitaire, comme toute minorité. Altériser les personnes intersexes est une forme de déshumanisation essentialiste.
La fabrication d'un homme-type et d'une femme-type ces dernières décennies a effacé de nos mémoires les riches histoires de nos aïeux. Quand toute l'histoire est réinterprétée à travers le prisme cis-hétéronormatif, il est naturel que notre vie nous semble absurde avant tout à nous-mêmes, que l'on ait l'impression de ne pas avoir trouvé la bonne planète. Certaines personnes, comme l'auteur Paul B. Preciado, vont jusqu'à se réver intersexe, instrumentaliser des expressions d'activistes intersexes dans leurs ouvrages*, tant la transphobie est intériorisée. Car c'est la transphobie qui pousse à toutes ces élucubrations. Alors que dans son film Orlando, il fait la promotion d’une 3ème case, nous revendiquons la suppression de la mention de genre à l'état civil, seule mesure valable, tant pour les minorités que pour le progrès social. La création de nouvelles cases est la création de nouvelles hiérarchies et le renforcement des hiérarchies existantes.
Justifier la non-conformité de genre par l’existence des personnes intersexes est une formulation maladroite qui invisibilise la lutte intersexe, mais cela réduit aussi la non-conformité de genre à une vision biologique du genre. Or, s’il est vrai que l’idéologie patriarcale binaire façonne les corps pour les conformer à ses normes, elle n’agit pas seulement sur les corps (intersexes ou non) et leur apparence. Elle divise également la société en deux groupes sur le champ militaire, administratif, économique et politique. Toutes les personnes qui sont confrontées à la rigidité de ces codes sont renvoyées dans leurs marges, que ce soit celles qui font des transitions, qui exercent une activité attribuée à l’autre genre, qui ont une vie affective qui s’éloigne de l’hétéro-norme, etc. Ainsi lutter pour les droits des personnes intersexes et faire sauter les barrières qui rendent leurs parcours hors normes est un combat qui permet la libération de toustes.
L’androgynie est la plus grande violence symbolique à l’encontre du mouvement intersexe. Elle représente aussi bien une mode que la norme esthétique. Cette norme c'est un corps grand, imberbe, mince et tonique, plutôt maniéré, un teint blafard et souvent des habits noirs. Ce standard de beauté est celui de la dominance bourgeoise blanche occidentale et masculine et agit comme une violence pour la plupart des gens : La minorité de personnes qui l’atteignent, parmi lesquelles figurent des personnes intersexes notamment du fait de leur intersexuation, sont fétichisées. Ce n'est guère mieux pour les personnes qui s'éloignent de ce standard, et là encore l'intersexuation peut y jouer un rôle (en sortant des “normes” de pilosité, taille, répartition des graisses, etc). L'étrangeté provoque la réprobation sociale, au mieux l'indifférence. L'androgynie est donc une double peine pour les intersexes, car ce qui était la promesse d'une célébration devient l'ultime invalidation.
Enfin, nous ne pouvons pas terminer cet édito sans parler du droit d’asile. Aujourd’hui encore, les violences intersexophobes ne font pas partie des motifs de persécutions reconnus pour l’accès au droit d’asile. Plus largement, nous continuons de nous insurger contre les politiques et discours stigmatisants sur les personnes en demande d’asile, révélateurs d’un profond racisme structurel. Nous réaffirmons notre totale opposition à la loi Asile et Imigration et au projet 2024 de réouverture du débat sur l’Aide Médicale d’Etat.
Nous marcherons ensemble en portant toutes ces revendications dans nos couleurs.
Cet édito a été coécrit par la co-présidence de Nosig et de militant.es intersexe.